Ben, oui...

"L'enfance est un moment heureux parce qu'on s'amuse d'un rien et qu'on prend tout au sérieux. Le reste, l'affection des parents, le confort d'une maison, les jouets, les desserts - vient de surcroît et ne peut entamer, même si les circonstances sont douloureuses, l'esprit de l'enfance.

Je n'ai aucun regret de mes jeunes années et j'évoque rarement le temps où j'étais une enfant et où je ne me posais pas la question du bonheur, tout en étant assaillie par mille autres interrogations. Etais-je heureuse? C'est une question d'adulte. En tout cas, je croyais à tout: au Père Noël, à la petite souris, au loup-garou, aux cloches de Pâques, à l'histoire des choux et des roses où naissent les bébés... Et puis tout me paraissait vivant, doté de sensibilité: les statues, les cailloux, les figures de la tapisseries, les dessins contenus dans les livres, les nuages, et bien sûr mon animal chéri, d'aspect diforme et d'allure douteuse.

On quitte l'enfance quand le froid réalisme et l'esprit pragmatique qui l'accompagne envahissent notre vie et gouvernent nos relations: quand on 'fonctionne' au lieu de ressentir ou d'être; quand on 'gère' au lieu de s'abandonner, de faire confiance, de faire crédit; et quand on absorbe des somnifères chaque soir parce qu'on a renvoyé, comme un bon à rien, le marchand de sable."

Extrait: Inventaire vagabond du bonheur - Jacqueline Kellen